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EXPOSITION DE 1934 Galerie Georges Petit

EXPOSITION DE 1934
Galerie Georges Petit

ROLF

Préface au catalogue au catalogue par Louis VAUXCELLES

 

Quand le prince des psychologues antiques conseillaient aux hommes de « se bien connaître », je ne pense pas qu’il eût songé particulièrement aux peintres. Et pourtant s’il est un être à qui le précepte socratique soit précieux, c’est l’artiste. Il est essentiel qu’avant d’entreprendre son ouvrage il sache ses limites et possède, de sa nature, de ses dons, de ses énergies spirituelles et créatrices, une notion exacte. Et ne croyez pas que ce soit chose si aisée… Les plus sensibles, les plus intelligents se trompent parfois sur eux-mêmes, et tel qui est né pour fignoler de menues oeuvrettes, brûle de couvrir des murailles. Que de temps d’excellents plasticiens ont perdu à se chercher, faute de s’être étudié avant le départ !

 

Ces réflexions me venaient à l’esprit lorsque dans l’atelier du jeune peintre ROLF, débarqué la veille d’un petit port catalan où il a travaillé sans relâche pendant ce dernier trimestre, il faisait défiler sous mes yeux ses toiles brossées à Cadaquès et à Llansa . « Voilà, me disais-je, un coloriste qui, d’instinct, est allé » droit aux motifs, aux types qui conviennent à son temparément ». Fougueux, véhément, plus nordique, et pour cause, que latin, ROLF n’est pas attiré par la molle suavité d’un site provencal où par l’eurythmie nuancée du ciel et des côtaux de l’Ile-de-France ; il requiert des aspects sévères, d’une âpreté hautaine ; les paysages, les modèles qu’il se plaît à retracer sont d’un caractère accentué, dénués de charme, revêches, agressifs. Né hors de France, vivant en France, ROLF a trouvé en Espagne le décor de son rêve intérieur. Sites et types sont ici d’une mâle rudesse ; doublement véridiques, étant à la fois de « vrais ROLF» et une exacte transcription du pays catalan.

 

Cadaquès, Llansa, villages désolés, entre la mer et les monts… Un vent aigre et desséchant y souffle ; terre inféconde, masures de pierrailles et de pisé, murs ocres ou d’un blanc sale, balcons de bois d’où pendent des loques effilochées… Pas de fleurs, la nature n’y sourit pas, des oliviers d’un gris poussiéreux, aux troncs tordus et noueux, des vignes basses… La population, presque exclusivement de familles de pêcheurs, est loin d’avoir la vénusté des Sévillannes ou la prestance des majos aux vestes soutachées de brocatelle ; ce sont femmes sèches et ridées, prématurément flétries, petits hommes secs, musclés, basanés. Ils et elles sont en harmonie avec le sol aride, monstrueux, brun-rougeâtre, avec le ciel aux lividités d’améthyste appâlie et de turqoise verdissante. Ce pays, cette race, n’ont vraiment rien d’édénique.

 

Qu’il y ait une Espagne de joie, de danses voluptueuses, l’Andolousie flamenco, les brunes cigarières, les gitanes dorées, Grenade et ses jardins mauresques, nombre de peintres l’ont vue, Dehodencq, Manet, Brangwyn après Goya et Eugenio Lucas… Mais l’Espagne tourmentée, d’une dure et nostalgique gravité, l’Espagne de Greco, de Cottet, – de Barrès – voilà celle que notre jeune coloriste a sentie, aimée et fortement rendue.

 

Il ne vise pas à plaire ; son art est aussi peu commercial que possible ; seuls ceux qui chérissent la peinture pour ses mérites, pour l’opulence sourde des accords, la sonorité d’une matière qui se fondra avec les ans, et prendra l’aspect vitrifié de la poterie ancienne, ceux-là seuls applaudiront ROLF et acquerront ses ouvrages.

 

Peinture faite au coup, qui a donc l’élan, le jaillissement, le primesaut, mais a été préparée par de multiples et savants dessins préalables, d’une analyse fouillée.

 

Exécutées selon cette méthode, les toiles de ROLF ne donnent ni l’impression de la fatigue, ni celle de la hâte. A peiner et suer sur un morceau, on risque d’alourdir son travail. Et d’autre part, rien de plus creux que l’improvisation qui se satisfait de soi : les deux écueils, le fini et le bâclé – ces deux poncifs – sont également à fuir.

 

ROLF a regardé longuement de ses yeux aigus ses modèles, la barque de pêche, les masures misérables, le vieux philosophe tout cassé, et, d’un trait hardi et sûr, les fixe en ses amples fusains… C’est ensuite, alors seulement, que naît la toile, menée avec impétuosité à son achèvement ; elle garde ainsi sa fraîcheur ; le mouvement de sa vie n’est pas interrompu.

 

Mariniste, paysagiste, décorateur qui ambitionne de manifester son robuste talent sur de vates surfaces, ROLF est aussi un vigoureux portraitiste. Vous verrez ici de sa main une série de physionnomies ou se retrouve le fier accent qui spécifie ses autres ouvrages. Accoutumé à contempler une humanité dénuée de grâces ROLF s’attachera volontiers à restituer des visages ravagés ; il n’embellit, n’affadit jamais. Au contraire, il aurait plutôt tendance, afin de mieux scruter le caractère, à pousser son investigation jusqu’à l’outrance ; les conseils fameux donnés jadis en ses Mémoire par Elisabeth Vigée-Le Brun (« Flattez vos modèles, rajeunissez, enjolivez, etc … ») n’auraient point de prise sur son âme intransigeante et rude. Si vous êtes soucieux de confiserie picturale, n’allez point chez ROLF, et surtout ne conseillez pas aux stars ou aux chorus-girls de poser en son atelier. ROLF maçonne de puissantes figures sculpturalement construites. Ces portraits d’êtres émaciés, chez qui l’intellectualité est aiguisée juqu’à la souffrance, ne sont pas la moindre part de l’oeuvre de ce jeune homme qui débute si brillamment.

 

Louis Vauxcelle.